Qui sommes nous?

Déclaration d'intention

Platypus est un projet pour l’autocritique, l’auto-éducation et, en fin de compte, la reconstitution pratique d’une Gauche Marxiste. Actuellement, la Gauche Marxiste nous apparait comme une ruine historique. D’après les idées reçues d’aujourd’hui, les tentatives passées pour l’émancipation se sont pas des moments, pleins de potentiel, qui restent à être réalisés, mais sont plutôt « ce qui fut » -- un utopisme certain de finir en tragédie. Héritier critique de cette tradition vaincue, Platypus soutient que – après l’échec de la Nouvelle Gauche dans les années 60, le démantèlement de l’état providence et la chute de l’Union Soviétique dans les années 80-90s – la désorientation actuelle de la gauche fait que nous ne pouvons prétendre connaître les tâches et les objectifs de l’émancipation sociale mieux que les connaissaient les « utopistes » d’hier.


Notre tâche est la critique et l’éducation pour une reconstitution d’une Gauche Marxiste. Platypus soutient que la ruine de la Gauche Marxiste d’aujourd’hui est celle d’une tradition dont la défaite fut largement auto-infligée. Cette Gauche Marxiste  est donc une chose du passé,  se trouvant dans un si grave état de décomposition qu’il est devenu presque impossible d’en faire émerger des revendications socio-politiques cohérentes et programmatiques.  Face à ce passé et ce présent catastrophiques, la première tâche pour la reconstitution d’une Gauche Marxiste en tant que force émancipatrice est de reconnaitre les raisons de ces échecs historiques et de clarifier la nécessité d’une telle Gauche aujourd’hui et pour l’avenir.- Afin de changer le monde, la Gauche doit d’abord se transformer elle-même!


La reconstitution improbable – mais pas impossible – d’une gauche émancipatrice est une tâche urgente; nous pensons que l’avenir de l’humanité en  dépend. Alors que les forces dévastatrices déchainées par la société moderne – le capitalisme – perdurent, la promesse inassouvi de l’émancipation sociale appelle encore à la rédemption. L’abdiquer, ou occulter la gravité des défaites et échecs passés en se tournant vers la « résistance » d’éléments « externes » à la dynamique de la société moderne ne fait qu’affirmer sa présente et garantir sa futur réalité destructrice. Platypus pose les questions : En quoi la pensée de théoriciens critiques de la société moderne tels que Marx, Lukács, Benjamin et Adorno, est-elle pertinente dans la lutte pour l’émancipation sociale aujourd’hui? Comment interpréter la longue histoire de politique appauvrie de la Gauche qui a mené au présent – depuis la Gauche Marxiste internationale de Lénine, Luxembourg et Trotski, à la stérilité d’aujourd’hui – sans en être terrorisé ou découragé?  Comment les réponses à ces questions pourraient-elles contribuer à la tâche urgente de reconstituer la Gauche à ses niveaux théoriques et pratiques les plus fondamentaux? Comment pourrions-nous aider à actionner la sortie cul-de-sac qu’est devenu la Gauche?  

Nous espérons redynamiser une conversation qui, à Gauche, est depuis longtemps tombé dans la sénilité ou le silence, afin d’aider à refonder une pratique politique émancipatrice qui est actuellement absente.

Que fut la Gauche, et que peut-elle encore devenir? Platypus existe car la réponse à une telle question, la capacité même de la formuler, a depuis longtemps cessé d’aller de soi.

Qu’est-ce qu’un platypus (ornithorynque)?

Survivre à l’extinction de la Gauche.

Il existe une histoire à propos de Friedrich Engels, l’ami et collaborateur de Karl Marx, qui raconte que dans sa jeunesse en tant que jeune Idéaliste Hégélien, certain de la rationalité et l’intentionnalité de l’évolution de la nature ainsi que de la part jouée par la raison humaine, il s’indigna quand il entendit parler de l’ornithorynque, qu’il supposa être une tromperie inventée par les taxidermistes anglais. Pour Engels, l’ornithorynque n’avait aucun sens l’histoire naturelle. 

Plus tard, Engels fut attristé quand il vu un ornithorynque vivant dans un zoo d’Angleterre. Comme Marx, il était un bon matérialiste et un penseur réceptif à la théorie de l’évolution de Darwin, qui avait détrôné la conception homocentrique du monde naturel. Engels en vint à comprendre que « la raison » à travers l’histoire, naturelle ou autre, ne doit pas nécessairement s’accorder avec les standards contemporains de la raison humaine.

Ceci est une parabole que nous trouvons salutaire pour comprendre l’état de la Gauche aujourd’hui.

À la lumière de l’histoire du présent, nous pourrions nous demander, de quel droit la gauche existe-t-elle?

Tous les droits- autant que l’ornithorynque, malgré nos difficultés à les catégoriser.

Nous soutenons que l’histoire passée et présente n’ont pas besoin d’indiquer le futur. Les échecs passés et présents de la gauche devraient nous informer et nous alerter, mais pas nous figer ou nous retenir.

Afin de nous émanciper, nous déclarons donc que la Gauche est morte. - Ou, plus précisément, que nous sommes tout ce qui en reste.

Voilà du moins notre intention, plutôt qu’un fait établi. –

L’intention que la Gauche devrait vivre, mais la reconnaissance qu’elle ne le peut uniquement en se dépassant. Nous sommes ce dépassement!

Donc, que sommes-nous?

Nous sommes des penseurs de Gauche éduqués et avertis par l’histoire du 20ème siècle – mais qui n’en sont pas terrifiés! « Laisse les morts enterrer leurs morts. » Nos actes peuvent encore permettre la rédemption de leur souffrance.

Nous sommes motivés, suites aux tentatives échouées et trahis de l’émancipation, et face à leur inadéquate compréhension de soi, par la réappropriation de cette histoire au service des possibilités de luttes émancipatrices aujourd’hui – et dans l’avenir.

À ces fins, nous débutons (peut-être de manière provocatrice) avec une liste de noms qui indiquent les pensées et les problèmes émergeants d’évènements qui, en lisant l’histoire à contre-courant (tel Benjamin), nous interpellent dans le présent : Marx, Lenin, Luxemburg, Trotsky, Adorno. – Pas exclusivement ce qu’ont représentés ces personnages, mais rien de moins.

Nous allons surmonter toutes lectures faciles et erronées de ces personnages, et toutes les idées reçus concernant les pensées et les actes qui leur sont associés, afin d’améliorer la reconnaissance critique ainsi que le développement de notre objectif. 

Dans l’histoire de la Gauche, les dates 1848 et 1917, mais moins 1968 et pas 1989 : les suites de défaites et victoires ambiguës; mais surtout, les leçons tirées de défaites, et la reconnaissance d’un présent et d’une histoire qui n’avaient pas lieu d’être, pour un avenir qui pourrait être autre. Les esprits rétifs de 1848 et 1917, avec leurs potentiels non-saisis, continueront d’informer un avenir qui reste à réaliser.

L’histoire de la modernité n’est pas encore finie, et elle ne le sera pas tant que son potentiel reste non-saisi. Nous ne partageons donc pas le sentiment (égaré) de fatigue face au moderne, mais nous reconnaissons une certaine abdication de sa transformation émancipatrice qui nous hante par sa nécessité.

Nous reconnaissons notre propre nécessité.

Nous sommes d’accord avec le jeune Marx dans « la critique impitoyable de tout ce qui existe. » Contrairement au désespoir romantique de Hegel après 1789, nous reconnaissons la nécessité de notre présent comme étant simplement « mauvaise. » Notre présent ne mérite ni affirmation ni respect, car nous le reconnaissons seulement comme le résultat d’une Gauche qui fut détruite et dissoute d’elle-même.

Et donc, tel l’histoire d’Engels et l’ornithorynque, commençons à s’adresser au projet et aux tâches improbables mais pas impossibles de la prochaine Gauche.

Une brève histoire de la Gauche

Marx et 1848

Marx n’était pas le père fondateur mais un participant critique brillant de la Gauche du 19e siècle. Ni le socialisme, ni le communisme furent inventés par Marx, Engels ou leurs collaborateurs (ou opposants) de Gauche, mais émergèrent des contradictions de la société moderne elle-même, telles qu’exprimées dans la révolution française de 1789 ainsi que dans le mouvement ouvrier moderne issu de la révolution industrielle au début du 19e siècle. La grande contribution de Marx fut de voir la Gauche elle-même comme une symptôme du capitalisme qui ne s’oppose pas à lui de l’extérieur, mais de l’intérieur, de façon immanente. Néanmoins, Marx soutenait la Gauche, le mouvement ouvrier socialiste moderne, et cherchait à l’avancer et à provoquer une reconnaissance de la manière dont elle était capable de se dépasser.

La pensée de Marx prend ses racines dans la critique immanente de la politique émancipatrice d’après 1789—le socialisme français, la philosophie idéaliste allemande, et l’économie politique anglaise. En 1848, l’époque du « Manifeste du parti communiste » de Marx et Engels, ainsi que des soulèvements révolutionnaires en France, Allemagne et dans d’autres parties d’Europe (déclenchés par la dépression économique globale des années 1840), les enjeux politiques d’égalité sociale et de démocratie étaient devenus plus compliqués et profonds qu’une critique rousseauiste civilisationnelle de la société moderne (tel que le slogan de Proudhon « la propriété c’est le vol ») pouvait comprendre ou bien de surmonter. En 1848, la démocratie radicale sous la forme de révoltes du tiers-état (bourgeoisie urbaine et ouvriers) rencontrait un obstacle : le capital était menacé par la démocratie sociale, car le ce dernier visait une autre forme de reproduction sociale. La révolution échouée de 1848 fuit suivie par de nouvelles formed emphatiques de politique de « masse »  et par l’état Bonapartiste moderne, national, et parlementaire dans lequel nous vivons encore aujourd’hui.

Après la crise de la Gauche post-1848, Marx développa la conception critique et dialectique du capitalisme en le considérant comme une forme d’émancipation qui (re)constitue un mode spécifique de domination sur la société : l’impératif de production de « plus-value » et donc de capitaliser sur le travail par le biais de formes médiées et mesurées par le temps de travail. Le capital devint ainsi une forme de valeur mesurable comme investissement de travail social, une forme de préservation et gage de valeur dans le futur, mais une forme à travers laquelle le « travail mort » domine le « travail vivant. »

Après 1917, Lukács reprit l’idée de Marx selon laquelle l’exploitation sociale et la domination dans le capitalisme sont identiques et non-identiques de manière contradictoire et constitutive, générant à la fois mécontentement et pouvoir—c’est-à-dire, des idéologies, y compris pour la Gauche—reproduisant et perpétuant une société dominée par le capital. Celle-ci est une contradiction entre « conscience » et « être social » pour des sujets de la « forme-marchandise. »   

Pour Marx, le capitalisme lui-même prépare le terrain et génère le potentiel social émancipateur qu’il contraint en même temps. En tant que forme social, le capital indique la possibilité de son dépassement.

Lénine, Luxembourg et 1917

Au tournant du 20e siècle, la jeune génération des radicaux de la sociale démocratie dans la IIème Internationale considérait comme acquis le caractère révolutionnaire de ses prédécesseurs marxistes (Kautsky, Plekhanov). Mais ils rencontrèrent des difficultés dans leur propre mouvement pour lequel ils luttaient avec enthousiasme. Les porte-drapeaux du courant révolutionnaire marxiste se retrouvèrent alors marginalisés au sein de la Gauche lors de l’éclatement de la première guerre mondiale. La Russie – le maillon faible du système mondial capitaliste – devint l’épicentre des luttes politiques révolutionnaires, mais avec le résultat paradoxale que Lénine appela un « état ouvrier déformé » administrant un « capitalisme d’état » aux marges du capital global qui récupérait trop rapidement de cette crise qu’était la guerre. Luxembourg et ses camarades en Allemagne soutenaient les Bolchéviques mais, en tant que marxistes, restèrent critiques, sachant qu’octobre 1917 faisait avancer la nécessité d’une révolution mondiale, ce qui posait un « problème » en Russie qui dépassait nécessairement ses frontières. Tâchant de rester fidèles aux principes du marxisme, Lénine, Luxembourg, et leur entourage transformèrent le mouvement marxiste, mais de manière décousue qui, lors de l’échec et la trahison de la révolution anticapitaliste enclenchée en 1917-1919, ouvrait la voie pour la dégénération suivante de la Gauche – notamment en ce qui concerne son auto-compréhension.

Trotski

Quand Staline annonça la politique de « socialisme dans un pays », il n’écartait pas explicitement une perspective marxiste révolutionnaire, mais s’adaptait plutôt à la situation de la Russie en 1924. Même les révolutionnaires moins cyniques que Staline et les bolchéviques qu’il a manipulés et assassinés ne voyaient pas que la politique risquée du Communisme international était le seul espoir de préserver, voire d’augmenter, les gains très modestes de 1917. En l’absence d’un tel projet, l’exigence de « préserver la Révolution » demanda alors des sacrifices supplémentaires – une catastrophe pour l’humanité.

Adorno

La désintégration du marxisme révolutionnaire dès les années 1930 posa un problème aiguë pour la conscience critique pour la Gauche. La crise radicale de la guerre et la révolution sociale de 1914-19 engendra son complément réactionnaire, le mouvement virulent du fascisme et la reprise de la guerre mondiale qui avait dévasté la Gauche dès 1945. À la suite de la contrerévolution et la réaction après 1919, il émergea la structure de subjectivité sociale et politique ayant un « charactère autoritaire » qui se trouva généralisée non seulement dans les rangs des fascistes mais aussi dans le Front Populaire et, ensuite, dans le « nationalisme » du « tiers monde. » La « personnalité autoritaire, » marqué par un narcissisme blessé et un sado-masochisme, révélait une peur régressive de la liberté.

Le « marxisme » intégra l’idéologie de la réalité sociale réactionnaire du capitalisme « avancé. » Pourtant, débordant d’histoire, le marxisme suggérait quand même un au-delà de l’idéologie bourgeoise, bien qu’il faisait preuve de la même vacuité que ce dernier. Dans la période de contre-révolution triomphale qui caractérisa le 20e siècle, la question et le problème de la conscience sociale critique réémergea. La récupération de l’esprit critique de la théorie et la pratique marxiste s’est avéré être une question obscure dès les années 1960. Néanmoins, elle continua à hanter la Gauche à travers l’occultation et la désorientation sociales et politiques des tâches et projets pour l’émancipation qui demeurent les plus importants legs de la révolution échouée et trahie.

De 1968 – et 89 – jusqu’à nos jours

Dès les années 1960, la « Gauche » mit de plus en plus en question les droits et les responsabilités des populations se situant stratégiquement dans les centres du capital mondial de changer le cours de l’histoire. – Comme Susan Sontag l’exprima en 1967 : « La race blanche est le cancer de l’histoire humaine ». À la place, une attente passive pour la manifestation du pouvoir historique des « subalternes » fut adoptée, sans même le moindre soucis critique des formes politiques concrètes que ces mouvements pourraient prendre.  – Adorno remarquait au début de la décolonisation : « Les sauvages ne sont pas plus nobles » (1944). – Une telle abdication de tout caractère politique prenait de diverses formes d’abnégation de soi – y compris un enthousiasme raciste pour les « différences culturelles, » ce qui vidait la politique de toute sa substance.

La Gauche révolutionnaire, déjà dans un état de décomposition profond après 1945, recevait son coup de grâce avec le renoncement du rôle de la conscience sociale critique sous l’influence de la « nouvelle Gauche » -- mais initié bien avant. Le désenchantement de la Gauche après les années 1960 jeta une ombre sur les décennies suivantes, avec sa culmination dans la chute de l’Union soviétique en 1989-92 et « la fin de l’histoire » - une fin de tout (« grands ») projets de transformation sociale émancipateurs. La « Nouvelle Gauche » reçu le monde qu’elle méritait. Les tentatives pour défendre son antimarxisme pseudo-radical ne sont finalement que des tentatives de ressusciter un fantôme. 

L’observation d’Adorno qu’« il n’y a pas de vraie vie dans la fausse vie » (1944), fut mal comprise et traitée comme un problème existentiel plutôt qu’un problème politique. Mais le problème de la pratique politique n’est pas une question éthique : il s’agit d’ouvrir des véritables et concrètes possibilités sociales et politiques pour l’émancipation.

Un monde émancipé dans lequel la liberté de chacun serait la précondition de la liberté de tous, réalisé par la solidarité sociale qui fournit « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » (Marx) et dont la vision inspira la Gauche historique – ce monde semble à peine concevable aujourd’hui.

Mais, tout comme il est manifestement possible d’être opprimé sans comprendre les raisons – comme la notion d’« aliénation » le suggère – le potentiel non-réalisé peut persister malgré un manque de conscience de son existence : une non-identité du sujet et de l’objet. La possibilité de la conscience critique visant l’émancipation survit sa mort apparente et continue de nous mettre au défi, même si on en est pas conscients. Le rôle de la conscience est vital à toute émancipation sociale.

La Gauche est morte! Vive la Gauche!

Des vicissitudes de la conscience historique et des possibilités d’une politique sociale émancipatrice aujourd’hui.

Chris Cutrone

« La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. »
-Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte (1852)

« Le théoricien qui tente d’intervenir dans les controverses d’aujourd’hui découvre régulièrement et à sa grande honte que les idées qu’il pourrait apporter ont déjà été exprimées il y a longtemps – et souvent mieux la première fois. »
-Theodor W. Adorno (1963)

Selon Lénine, la plus grande contribution de la radicale Marxiste Allemande Rosa Luxembourg (1871-1919) à la lutte pour le socialisme fut sa déclaration que son Parti Social-Démocrate d’Allemagne était devenu une « dépouille fétide » suite à leur vote pour les crédits de guerre le 4 Août 2014. Lénine le déclara en 1922, à l’issu de la guerre, révolution, contre-révolution et réaction durant laquelle Luxembourg fut assassinée. Lénine nota qu’on se souviendrait d’elle pour sa critique incisive  à un moment crucial de la crise dans ce mouvement pour le socialisme auquel elle s’était consacrée et pour lequel elle a fini par donner sa vie. Malgré cela, et avec une certaine ironie, on se souvient de Luxembourg pour sa critique occasionnelle de Lénine et des Bolchéviques!

Deux leçons peuvent être tirés de cette histoire : Que la Gauche souffre d’une mémoire partielle et déformée de sa propre histoire, en raison des dégâts de ses échecs et ses défaites accumulés; et parfois, à des moments cruciaux, la meilleure activité que la Gauche puisse engager est son autocritique, motivée par la volonté d’échapper à cette histoire et ses issues.  Parfois, la contribution la plus vitale est de déclarer que la Gauche est morte.

Donc, Platypus fait la proclamation suivante, pour notre époque : « La Gauche est morte! Vive la Gauche! »- Nous le disons pour que la possibilité futur de la Gauche future puisse vivre.

Platypus débuta en décembre 2004 en tant que projet pour créer un journal international de lettres critiques et de politique émancipatrice, conçu par un groupe d’étudiants du professeur de l’université de Chicago Moishe Postone, qui, depuis les années 1960, avait étudié et écrit à propos de la théorie critique mature de Marx du Grundrisse et Das Kapital pour imaginer une société post-capitaliste.

Platypus s’est développé et transformé, au printemps 2006, en groupe de lecture pour nos étudiants voulant poursuive l’attrait continu de la théorie critique marxiste. La Société Affilié Platypus est une organisation politique récemment établie (Décembre, 2006), cherchant à investiguer les possibilités pour la reconstitution d’une Gauche Marxiste suite à l’effondrement de la Gauche Marxiste historique.

Nous tirons notre nom de l’ornithorynque (platypus, an anglais) qui, au moment de sa découverte zoologique, restait inclassable pour la science prédominante. Nous pensons qu’une Gauche authentique et émancipatoire serait pareillement inclassable et méconnaissable, en partie parce que les tâches et projets de l’émancipation sociale se sont tant désintégrés qu’ils ne sont accessible qu’en tant que fragments et éclats.

Nous sommes passés d’à peu près une douzaine d’universitaires – étudiants et enseignants – à plus d’une trentaine à travers Chicago et au-delà (par exemple à New York et à Toronto).

Nous avons collaboré avec une pluralité de groupes de Gauche à Chicago et ailleurs, par exemple en offrant un atelier sur la Gauche Iraquienne pour la conférence du « new SDS » (new Students for a Democratic Society) sur l’occupation americaine de l’Iraq, à Chicago en Février. En Janvier, nous avons tenu la première d’une série de forums publics à Chicago, sur le thème de « l’impérialisme » et la Gauche, avec les intervenants suivants : Kevin Anderson de « News and Letters »(Les Marxistes Humanistes), Nick Kreitman de la « SDS » tout juste reconstituée, Danny Postel de OpenDemocracy.net, et Adam Turl de l’ « International Socialist Organization » (ISO).

Nous avons organisé notre investigation critique de l’histoire de la Gauche afin d’aidé à discerner les possibilités d’émancipation sociale dans le présent – un présent défini par l’histoire d’échecs et de défaites de la Gauche. En tant que chercheurs d’un héritage très problématique duquel nous sommes séparés par une distance historique définie, nous somme dédiés à engager l’histoire de la pensée et l’action de la Gauche à partir de laquelle nous devons apprendre de manière délibérément non-dogmatique, ne considérant rien comme acquis.

Pourquoi Marx? Pourquoi maintenant? Pour nous, la pensée de Marx est le point focal et le centre névralgique vital pour la critique fondamentale du monde moderne dans lequel nous vivons et qui émergea à l’époque de Marx avec la révolution industrielle du 19e siècle. Nous situons la pensée de Marx dans le contexte de l’histoire précédente de pensée sociale critique (telles les philosophies de Kant et de Hegel), mais nous la mettons également en relation avec l’oeuvre de ceux qui furent inspirés de suivre Marx dans sa critique de la modernité sociale – nous pensons ici principalement à Georg Lukács, Walter Benjamin, et Theodor W. Adorno. Par conséquent, Platypus s’engage à la reconsidération de toute la tradition de la théorie critique des 19e et  20e siècles.  Comme l’a dit Leszek Kalokawski (dans son essai de 1968 « Le concept de la Gauche ») la Gauche doit être définie idéologiquement et non sociologiquement : la Gauche est définie par son utopisme, la Droite par son opportunisme.— Ou, selon Robert Pippin, le problème de la théorie critique aujourd’hui est qu’elle n’est pas critique. (Critical Inquiry, 2003)

Platypus se consacre à la réouverture d’une variété de questions de la Gauche de façon à lire cette histoire à contre-courant (comme le nota Benjamin dans sa « Thèse sur la Philosophie de l’histoire », 1940) – une tentative de comprendre les instances de défaites et d’échecs de la Gauche non pas comme des faits établis mais comme étant pleines d’un potentiel qui reste à réaliser. Nous concevons le présent, donc, comme étant le fruit non pas d’une nécessité historique mais plutôt de ce qui s’est passé mais qui n’avait pas lieu d’être. Nous luttons pour échapper au poids mort d’au moins deux générations d’action et de pensée problématique : la Gauche des années 1920-30 et celle des années 1960-70. Plus proche de nous, nous subissons les effets de la dépolitisation – l’abandon délibéré « postmoderne » de n’importe quel « grand récit » de l’émancipation sociale – de la Gauche des années 80-90s.

Mais la « tradition » de cette « génération morte » qui pèse sur notre esprit tel un « cauchemar » est celle de la Nouvelle Gauche des années 60,  notamment dans son historique d’antibolchevisme qui se manifeste par ces deux mauvaises alternatives complémentaires qui sont l’anticommunisme Stalinophobic (du libéralisme de la guerre froide et de la social-démocratie) et le « militantisme » Stalinophilic (examplarisé par le Maoisme, Guévarisme, etc.) – Cette génération et sa mauvaise politique emmenèrent à la naturalisation de la dégénérescence de la Gauche dans la résignation et l’abdication. Cette tendance n’était elle-même qu’une réponse inadéquate de la « nouvelle Gauche » des années 60 aux problèmes auquels faisait face la « vieille Gauche » des années 20-30. Nous estimons que la nouvelle Gauche est restée redevable au Stalinisme – y compris au mythe selon lequel Lénine avait mené à Staline – au grand détriment des possibilités d’une politique émancipatrice  jusqu’à aujourd’hui.

En tentant de lire à contre-courant cette histoire de délabrement et auto-liquidation accélérés de la Gauche suite aux années 60, nous faisons face au problème abordé par Nietzsche dans son essai « De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie » (1873) :

Pour pouvoir vivre l’homme doit posséder la force de briser un passé et de l’anéantir et il faut qu’il emploie cette force de temps en temps... Les hommes et les époques qui servent la vie, en jugeant et en détruisant le passé, sont toujours à la fois dangereux et en danger… . C’est un effort pour s’attribuer, en quelque sorte a posteriori, un passé d’où l’on aimerait bien tirer son origine, en opposition avec celui d’où l’on descend véritablement. [Traduction de Nietzsche par Henry Albert : http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/file/nietzsche_seconde_inactuelle.pdf]

Néanmoins, comme Karl Korsch a écrit dans Marxisme et philosophie  (1923) :

[Marx écrit que] ‘[l’humanité] ne se pose jamais de problèmes qu’elle ne saurait résoudre; puisque, en étudiant l’affaire de plus près il est évident que le problème ne surgit qu’au moment où les conditions matérielles de sa résolution sont déjà présentes ou du moins sont entendu d’être en cours d’émergence.’ [Marx, Préface à une Contribution de la Critique de l’Économie Politique (1859)]. Ce dicton n’est pas remis en cause par le fait qu’un problème qui dépasse les relations actuelles peut avoir été formulé à une èpoque antérieure.

Comme l’a écrit Adorno, dans Dialectique négative :

La liquidation de la théorie par le dogme et le tabou de la pensé a contribué aux mauvaises pratiques... L’interrelation des deux instances [la théorie et la pratique] n’est pas résolue une fois pour toute mais fluctue au cours de l’histoire… Ceux qui accusent la théorie d’être anachronique rejettent comme étant obsolète ce qui est douloureux car déjoué… Le fait que l’histoire ait fait reculer certaines positions sera respecté comme un verdict sur leur contenu véridique que par ceux qui sont en accord avec Schiller sur le fait que « l’histoire du monde est le tribunal mondial. » Ce qui est écarté sans être assimilé théoriquement aura tendance à faire preuve de sa vérité que plus tard. En attendant il suppurera comme une plaie sur le bien-être apparent, nous rappelant à elle quand la situation changera.

Platypus se soucie d’investiguer la tâche et le projet improbables mais pas impossibles de la réémergence d’une Gauche critique avec une intention sociale émancipatrice. Nous espérons apporter une contribution critique mais vitale à un éventuel « retour à Marx » afin de redynamiser la Gauche dans les années à venir. Nous invitons et accueillons toutes celles et ceux qui souhaitent participer et contribuer à ce projet.